Angleterre – Sénégal (1-3) : au-delà de l’humiliation, un séisme tactique et générationnel
Mardi soir, au City Ground de Nottingham, l’équipe nationale d’Angleterre a subi un revers historique face au Sénégal (1-3), dans un match amical qui n’avait rien d’un simple galop d’essai. Pour la première fois de son histoire, l’Angleterre s’incline face à une nation africaine. Mais au-delà du symbole, c’est bien le contenu qui inquiète : structure tactique absente, manque d’énergie, fragilité mentale. À moins d’un an du Mondial 2026, les Three Lions, désormais dirigés par Thomas Tuchel, sont à la dérive.
Une Angleterre sans fil conducteur, des choix incohérents
Le chantier Tuchel devait apporter rigueur et verticalité. Il n’en fut rien. En optant pour dix changements dans le onze de départ par rapport au match contre Andorre, le sélectionneur allemand a pris un pari audacieux. Mais ce pari n’a pas résisté à l’intensité sénégalaise. Le manque d’automatismes était flagrant, notamment dans le cœur du jeu, où la paire Rice – Mainoo a semblé étouffée par le pressing sénégalais.
La défense, elle, a coulé. Walker, dépassé par Ismaïla Sarr, a souffert dans son couloir. Dean Henderson, aligné à la place de Pickford, s’est montré fautif sur le deuxième but. Et Colwill, coupable d’une main sur l’action menant à un but refusé de Bellingham, symbolise la fébrilité défensive anglaise.
Un Sénégal collectif, audacieux, tactiquement mûr
Face à cette Angleterre amorphe, le Sénégal a parfaitement récité son football : vertical, rapide et discipliné. Menés 0-1 après un but précoce d’Harry Kane (7e), les Lions de la Téranga n’ont jamais paniqué. Au contraire, ils ont fait parler leur puissance physique, leur justesse technique et un plan de jeu bien huilé.
- Sarr a donné le ton (40e), en égalisant juste avant la pause après un excellent travail de relance.
- Habib Diarra, de Strasbourg, a ensuite inscrit un superbe but à l’heure de jeu (62e), démontrant une belle maturité tactique pour un joueur de 20 ans.
- Enfin, Cheikh Sabaly, à la 92e minute, a crucifié l’Angleterre sur un contre éclair. Un modèle de lucidité dans un contexte hostile.
Ce Sénégal version Pape Thiaw impressionne. 22 matchs sans défaite, des jeunes qui montent en puissance, une animation offensive cohérente même sans Sadio Mané. Le groupe semble prêt pour la suite.
Un début de crise en Angleterre ?
Le plus préoccupant pour les Three Lions n’est pas tant le résultat, mais la récurrence des signes d’alerte. Déjà en grande difficulté face à Andorre (victoire 1-0), l’équipe peine à se créer des occasions franches (4 tirs cadrés contre 9 pour le Sénégal). Jude Bellingham, nerveux, a semblé isolé, tandis que Saka et Gordon ont manqué d’influence. Kane a sauvé les apparences, mais le reste est à revoir.
La presse britannique ne s’y est pas trompée :
- Le Daily Mail parle d’« humiliation ».
- La BBC évoque une « régression inquiétante ».
- Le Guardian s’interroge sur l’épuisement mental et physique des cadres après une saison de Premier League dévorante.
Thomas Tuchel au coeur de la tourmante
Nommé en janvier 2025 à la tête de l’équipe d’Angleterre, Thomas Tuchel savait que son mandat serait scruté dans les moindres détails. Il ne s’attendait peut-être pas, en revanche, à vivre un tel revers dès son sixième match. La défaite 3-1 face au Sénégal n’a pas seulement une portée sportive : elle symbolise une fracture entre les promesses tactiques du technicien allemand et la réalité de son début de mandat.
Jusqu’ici, Tuchel avait pu se réfugier derrière les résultats : trois victoires inaugurales sans encaisser de but contre l’Albanie, la Lettonie et Andorre. Mais les critiques étaient déjà là, notamment après le match poussif contre Andorre (1-0), pointant une équipe sans génie ni plan de jeu clair. Contre le Sénégal, tout a explosé.
Le Telegraph évoque une Angleterre “en fin de cycle”, sans idée, sans inspiration. Il dénonce un 4-4-2 mal ficelé, et des décisions étranges : l’absence d’Ivan Toney, pourtant attendu, et le maintien de Kyle Walker, dépassé sur le but d’Ismaïla Sarr. Le journal résume la prestation par un mot cinglant : léthargie.
Le Guardian, lui, note la perte de patience du public : « Des milliers de supporters ont quitté le stade avant le coup de sifflet final. Ceux restés ont copieusement hué. » Le quotidien ajoute : « Tuchel avait-il vraiment eu une période de lune de miel ? Difficile à dire tant son arrivée avait déjà divisé. Mais s’il y en avait une, elle est désormais terminée à 100 %. »
Le problème est double : Tuchel n’a pas encore imprimé sa patte tactique et il semble avoir du mal à gérer l’état de forme d’un groupe épuisé par une saison éreintante en Premier League. Ses nombreux changements (10 par rapport au match précédent) n’ont fait que désorienter l’équipe. Au-delà du score, c’est surtout la pauvreté collective, l’absence de verticalité, la fragilité défensive et l’atonie du pressing qui inquiètent.
Harry Kane a tenté de calmer le jeu : « Nous n’allons pas paniquer, mais nous savons que nous devons être meilleurs. » Mais même son statut d’incontournable buteur ne suffit plus à masquer l’évidence : à un an de la Coupe du monde 2026, l’Angleterre ne semble pas prête, et Tuchel a encore tout à prouver.
Et maintenant ?
Ce match n’était qu’un amical. Mais son poids symbolique est majeur. Pour le Sénégal, c’est une victoire fondatrice, tactiquement maîtrisée, collectivement aboutie. Pour l’Angleterre, c’est un coup d’arrêt brutal, un signal d’urgence à un an d’une Coupe du monde qui s’annonce impitoyable.
Thomas Tuchel a du pain sur la planche. Son projet tactique semble incompris, son groupe en perte de repères. À l’inverse, le Sénégal progresse sereinement. Cette rencontre ne restera pas qu’une parenthèse : elle pourrait redessiner la hiérarchie du football mondial.