Témoignage d’un supporter rennais sur le départ de Désiré Doué au PSG
Un dimanche pluvieux à Rennes. Le ciel est bas, les pavés sont humides, mais dans le bar « Le Rouge & Noir », on sent la chaleur des cœurs un peu nostalgiques. Les discussions tournent autour du match du week-end, des promesses du futur mercato, et bien sûr… de ce transfert qui a laissé un goût doux-amer : le départ de Désiré Doué au PSG à l’été 2024. Installé sur son tabouret préféré, au fond du bar, Gérard, 68 ans, ancien cheminot et fidèle du Roazhon Park depuis les années 70, accepte de revenir sur cette trajectoire fulgurante. Celle d’un gamin de la maison devenu star, mais parti briller ailleurs. Il parle avec émotion, parfois un brin de colère, mais surtout avec une tendresse indélébile pour ce « p’tit Doué ».
Gérard, le départ de Désiré Doué au PSG a secoué beaucoup de supporters. Comment vous l’avez vécu ?
Ah… C’est dur. C’est comme si tu voyais ton propre gamin quitter la maison. Tu sais que c’est peut-être mieux pour lui, qu’il va grandir, apprendre, affronter les plus grands… mais t’as le cœur serré. Quand c’est tombé en juillet dernier, j’ai eu un moment de silence. Je regardais ma télé et j’ai soufflé : « Merde, il est parti. » Et pourtant, j’étais pas surpris. Ça faisait un moment que les rumeurs circulaient. Mais là, ça devenait réel. Il quittait sa maison, notre maison. Le Roazhon Park, c’était chez lui.
Vous aviez senti venir ce départ ? Ou vous pensiez qu’il resterait ?
Franchement ? Au début, j’y croyais. Je me disais : « Il est du cru, il va faire comme Bourigeaud, rester et devenir une légende ici. » Mais quand tu vois ses performances… c’était plus possible de le cacher. Il brillait trop. Il a ce truc dans les jambes et dans la tête. Et Paris, ils ont mis les billets, beaucoup. On ne peut pas lutter. On est Rennes, pas le Qatar. Et lui, il a 19 ans maintenant, il veut jouer la Ligue des Champions, il veut tout casser. Je peux pas lui en vouloir. Mais ça pique quand même, hein…
Vous vous souvenez de son premier match au Roazhon Park ?
Oh que oui. 7 août 2022. Contre Lorient. Il rentre, il a 17 ans à peine. Dix-sept minutes sur le terrain, et je vous jure, c’était comme voir une étoile filante. Il touchait le ballon, les mecs de Lorient étaient perdus. J’ai dit à mon voisin : « Ce gamin-là, il est possédé. » Et après, y’a eu le but contre Brest… ah ce but ! J’en parle encore à mes petits-enfants. Il part du milieu, élimine, et frappe du gauche… Silence dans le stade, puis l’explosion. C’était plus un match, c’était du cinéma !
Et maintenant qu’il est au PSG, vous continuez à le suivre ?
Bien sûr. Je regarde tous les matchs de Paris, enfin… ceux où il joue. Parce qu’au début, il a pas mal ciré le banc. Normal, faut s’adapter. Mais ces derniers temps, il commence à montrer qu’il est pas venu faire de la figuration. Il a claqué deux buts en Coupe, il a été énorme contre Lyon au Parc. J’ai même crié dans mon salon. Mon chat a sauté du canapé, j’vous jure ! (rires) Mais bon… je le regarde avec fierté et un pincement. Parce que ça aurait pu être chez nous, tout ça.
Est-ce qu’il vous a déçu en partant si jeune ?
Non, pas vraiment. Parce que je le connais, enfin… je le « sens », ce gamin. Il a jamais triché. Il a toujours dit que son rêve, c’était de jouer au Roazhon Park. Et il l’a fait. Il a tout donné. Il aurait pu partir plus tôt, mais il est resté encore un peu, il a mûri ici. C’est pas comme s’il avait claqué la porte. Il est parti proprement, la tête haute. Et puis faut dire ce qui est : il est pas fait pour rester petit. Ce gars-là, il vise la Coupe du Monde, les Ballons d’Or… Il joue pas pour la Ligue Europa, lui.
Y’a une anecdote, un moment où vous vous êtes dit : « OK, il est plus comme les autres » ?
Ah, si ! En 2023, j’étais à l’entraînement public, encore une fois. Y’avait du monde. Et pendant une opposition, il fait un contrôle orienté dos au but, talonnade en pivot, et il élimine deux gars. Les gens autour de moi ont buggé. On n’a même pas applaudi, on était juste là, bouche ouverte. Et un petit, pas plus haut que trois pommes, me dit : « Papa, il fait de la magie ? » J’ai rigolé, mais j’ai répondu : « Un peu, oui. » Ce jour-là, j’ai su que c’était pas un joueur de L1. C’était un joueur de Ligue des Étoiles.
Et pour finir… vous lui souhaitez quoi maintenant qu’il est dans la lumière parisienne ?
Tout le bonheur du monde, vraiment. Qu’il explose là-bas. Qu’il reste lui-même. Qu’il oublie pas qu’il vient de la Piverdière, du terrain trempé de novembre, des roulettes sur terrain synthétique à huit ans. Et s’il marque en finale de Ligue des Champions, eh bien… j’irai boire une bière à sa santé ici, au bar, avec les copains. Et je dirai : « Vous voyez ce gamin ? Il est né ici. Il est rennais. Même s’il porte du bleu foncé maintenant. »
Mais entre nous, est-ce que vous trouvez pas qu’il a un peu changé depuis qu’il est à Paris ? Un peu trop “bling-bling” ?
Alors ça, c’est la question qui fâche… On va pas se mentir, j’ai vu passer une ou deux photos sur Instagram avec les montres en diamant, les fringues qui brillent, et je me suis dit : « Aïe… Paris commence à le transformer. » Mais après, je me rappelle que c’est un gamin. À 19 ans, moi je m’achetais des vinyles de Polnareff. Lui, il touche des millions. C’est un autre monde. Le tout, c’est qu’il garde la tête sur les épaules. Et pour l’instant, sur le terrain, il reste propre. Il court, il tacle, il dribble. Tant que ça, ça change pas, je lui pardonne les baskets en cuir de serpent.
Vous l’avez croisé en vrai, un jour ? Peut-être à la sortie d’un entraînement ou dans Rennes ?
Une fois. C’était il y a deux ans, après un entraînement ouvert. Il était déjà surveillé comme un diamant, entouré de mômes qui voulaient des selfies. J’ai attendu un peu, et quand je lui ai tendu un vieux maillot de la saison 2019, il m’a regardé, il a souri, et il m’a dit : « Celui-là, il a vécu des choses. » Je vous jure que j’ai failli lui dire que moi aussi. Il me l’a signé, et je l’ai encadré. C’est con, hein ? Mais c’est comme si j’avais capturé un petit bout de son passage ici. Et depuis, ce cadre trône dans mon salon, entre une photo de Sylvain Wiltord et une de ma fille (rires).
Et cette histoire qu’il voulait tout arrêter en U11 parce qu’on l’avait mis en défense… vous y croyez ?
Mais bien sûr que j’y crois ! On le sent, ce gars-là, il est viscéralement offensif. Le mettre en défense, c’est comme coller un bouchon sur une bouteille de champagne. Ça peut tenir un temps, mais ça finit par exploser. Il voulait le ballon pour créer, pas pour casser. Et je le comprends. À 10 ans, il avait déjà une idée du jeu plus claire que certains pros. Heureusement qu’il a tenu bon. Sinon, on serait passés à côté d’un sacré phénomène. D’ailleurs, moi aussi à l’époque, j’ai failli arrêter le foot parce que mon coach voulait me coller gardien. Sauf que moi, j’étais pas Doué (rires) !
Et entre nous, vous pensez qu’il reviendra un jour à Rennes ? Ou c’est fichu ?
Ah… La grande question. Mon cœur dit oui. Mon cerveau dit non. Si un jour il revient, ce sera pour la dernière danse, genre à 33 ans, pour boucler la boucle. Et encore. Mais dans ce foot-là, tout va trop vite. Qui sait ? Peut-être qu’un jour il en aura marre des paillettes, et qu’il voudra retrouver la vraie chaleur, celle du Roazhon Park, les chants, les crêpes en tribune et la pluie bretonne qui fouette le visage. Si ça arrive, je serai là, tribune Mordelles, prêt à l’accueillir comme un roi revenu d’exil.
Pour finir, si vous pouviez lui dire une seule chose, là, maintenant, s’il vous écoutait ?
Je lui dirais : « Désiré, t’es parti, mais t’as pas quitté nos cœurs. Continue d’être un magicien, mais n’oublie jamais d’où tu viens. Le foot, c’est le jeu. C’est pas les montres ni les sponsors. C’est ce que t’avais dans les yeux à 6 ans sur les terrains de la Piverdière. Et ça, ça brille plus fort que toutes les lumières de Paris. »